Powers
Un préjugé à la vie dure dans le milieu des comics… Selon certains, pour lire de bonnes séries, autant adultes que captivantes, on est obligé de se tourner vers les éditeurs indépendants, qui éditent des séries introuvables sur du papier dégueulasse… Or Powers est la série qui les fait mentir.
Image Comics… on vous en a souvent parlé, on ne présente ce « troisième homme » dans le monde de l’édition des comic-books. Image, après son envol fulgurant au début des années 90 a d’abord plané avant de tomber sous les coups de DCA, à la fois des autres maisons d’éditions, mais aussi à coups de sabotages internes par des séries miteuses et des engueulades mémorables. Depuis l’arrivée du petit nouveau, CrossGen, Image avait bien du mal à rester à flot, mais heureusement une série a sauvé les meubles. Cette série, c’est évidemment Powers.
Powers au départ ne payait pas de mine. Diffusée par Image Central, elle était en fait livrée clef en main par Jinx comics, la boite de Brian Michael Bendis. Si maintenant Bendis est reconnu, notemment pour son excellent travail sur Daredevil ou son revamping de Spider-Man dans Ultimate Spider-Man, il fut une époque où il travaillait sur des petits projets.. Petits par leur interet marketing, mais énorme dans l’investissement de l’auteur, qui allait jusqu’à les dessiner lui-même, en noir et blanc. Ce sont ses travaux personnels qui sont regroupés sous la bannière Jinx comics, comme Torso et Goldfish, respectivement traduit et à traduire chez Semic Noir.
On est donc très loin des grosses séries block-buster de Marvel, DC ou même Image. Car rappelons-le, Image s’est entièrement construite sur l’aspect visuel des séries, souvent en vendant de la chair fraiche à grands renforts de colorisation flashies. Travaillant à son compte, Bendis lance cette série dans le domaine qu’il connaît le mieux : le policier. En effet, il fait partie des auteurs comme Azzarello et Brubaker qui ont fait du roman noir leur fond de commerce. En plus, il travaille avec Image, qui aurait aimé redorer un peu le blason de ses séries se super-héros. Qu’à cela ne tienne, Bendis mélange les deux genres, et aboutit au concept de Powers : flics et super-héros.
Avec la quantité de super-héros et de super-vilains que connaît l’Amérique, et la quantité de délits qui leurs sont imputables, chaque méta-humain doit se déclarer aux services fédéraux pour être enregistré. Du coup, une spécialisation est apparue dans les services de la brigade Criminelle… Des agents spécialisées dans les crimes impliquant des êtres à pouvoirs, des « powers ». Quand un dossier comporte ce genre de choses, il est transféré sur le bureau du détective Walker. Walker est la crème des flics, aussi à l’aise devant un compte-rendu d’autopsie qu’à la poursuite d’un suspect, avec sa carrure de rugbyman. Dès le premier arc, « Who killed Retro-girl ?”, Walker se voit flanqué d’une toute jeune partenaire : Deena Pilgrim, petite teigneuse et grande gueule… Ensemble, ils doivent enquêter sur le meurtre de Retro-Girl, une des rares super-héroïnes hors-la-loi restantes…
Powers joue donc sur deux tableaux : l’ambiance super-héroïque comme toile de fond pour des enquêtes policières pure jus, avec café, Donuts, et inculpé qui réclame son avocat. Mais Bendis arrive en plus à relier les différentes enquêtes, de plus ou moins près, au passé mystérieux du détective Walker. En effet, dès le premier arc, il semble bien attristé de la mort de Retro-Girl, mais surtout il a des contacts insoupçonnés dans les milieu des super-héros, qui le connaissent tous. Dans l’arc suivant, alors qu’un tueur s’attaque à des étudiants adeptes de jeux de rôles qui se déguisent en super-héros, Walker reconnaît là une vielle connaissance, qui en aurait aussi après lui. Enfin, dans le quatrième arc, alors que Zora, une super-héroïne avec qui il est très proche est blessée, il finit par révéler avoir lui-même été l’un d’eux.
Powers traite donc de la légalité des super-pouvoirs, de l’admiration qu’exercent ces dieux vivants sur le citoyen lambda, ou au contraire les crimes passionnels qu’ils entrainent. Car le surhomme est un homme comme les autres, il a besoin de sexe, de gruger le fisc et parfois d’un avocat quand il se fait chopper.
Le principal défaut que certains trouvent à la série, mais ce qui est l’un des ses points forts pour moi, c’est son dessin très simplifié et stylisé au maximum. En effet, Les 27 épisodes parus aujourd’hui (plus des numéros spéciaux), ont tous été dessinés par Michael Avon Oeming. Ce dernier a depuis lancé de nombreux projets chez Image grace à la notoriété qu’il a acquis sur powers, dont Hammer of the Gods, une série de Vikings chez Image. Oeming, donc, a un trait très épuré aux ombres très tranchées. Là où son style et sa technique pèchent, il excelle dans la construction de ses cases, avec des plans et des enchaînements qui laissent une grande place au suspense et à l’ambiance des interrogatoires. En plus, la couleur vient mettre en valeur ses planches, avec des lumières toujours tamisées et sombres. L’ambiance fait donc penser au dessin-animé de Batman, avec des vrais enquetes, de vraies fusillades et des vrais macabés.
Je ne veux pas trop insister sur les enquêtes elle-mêmes, car les raconter reviendrait à dire qui est Kaiser Sausée ou Rosebud, mais dites-vous bien que si Bendis a gagné le Eisner Award, le Wizard award et le CBG fan award du meilleur auteur de l’année, ce n’est pas pour rien. Attendez-vous à des rebondissements, des journalistes rapaces, beaucoup de menaces et de bras d’honneurs, bref que du bonheur. Le numéro 7 a même un invité surprise surprenant en la personne de Waren Ellis en personne, en chair et en papier.
Je ne saurais donc trop vous conseiller cette série, loin des canons habituels du comics, dont la lecture laisse toujours une impression de trop-peu. Un premier tome a été traduit chez Semic, reprenant le premier arc « Who Killed Retro-Girl ? ». En vente dans toutes les bonnes crémeries.