Marvel 1602 – Neil Gaiman & Andy Kubert
Neil Gaiman, avant d’être un romancier adulé et primé d’une multitude de récompenses dont le Bram Stoker Award, a commencé sa carrière en tant que journaliste pour des magazines musicaux et cinéma. Sauf que bon, gratter des articles pour des feuilles de chou ou pour des magazines érotiques, c’était pas vraiment son rêve, d’autant que le temps passé devant un navet dans les salles obscures, c’est du temps définitivement perdu. Se sentant vieillir avant l’age, Neil cherche à changer de voie. Sa voie à lui, c’est l’écriture. Des vrais livres, quoi. Mais pour percer dans le métier, il faut du temps. Durant ses années de galère, il rencontre Alan Moore, grand gourou cosmique du comicsverse et musicos à ses heures perdues, ce qui explique leur rencontre. Tous deux se lient d’amitié, Alan apprends à Neil comment faire des scenarii de comics, et la suite vous la connaissez… Neil rentre en contact avec DC, et après un essai réussi sur Black Orchid où il rencontre Dave McKean, on lui offre la série qui le hissera au panthéon britannique des auteurs de comics : Sandman. Et dire qu’au départ il voulait qu’on lui refile le Phantom Stranger…
La collaboration entre Gaiman et DC est fructueuse. Neil fournit ses histoires en exclusivité à l’éditeur, lequel se montre très généreux en ce qui concerne les droits d’auteur de ses productions. Bref le grand amour, quoi. Pendant que DC exploite les séries délaissées par Gaiman, celui-ci se consacre à l’écriture de ses romans : Stardust (dont la version illustrée par Charles Vess paraît chez DC), Neverwhere, puis American Gods… Gaiman est reconnu aussi bien par ses pairs que par le public. Sauf que voilà, Gaiman joue avec les personnages de DC, mais les petits copains d’en-face lui chatouillent la plume. En effet, il commence à songer à travailler chez Marvel, surtout depuis que Joe Quesada encourage les artistes de son Distingué Concurrent à venir lui rendre une petite visite (et accessoirement Joe lui a proposé son armada d’avocats dan le procès qui l’opposait à Todd McFarlane). Et tandis que Gaiman est à une convention à Venise peu après le 11 septembre 2001 , il tient son idée : il n’a pas envie d’immeubles, de flingues ou d’avions qui s’écrasent. Rien de plus facile, il placera son histoire… en 1602.
1602 est la dernière année du règne d’Elizabeth I, période d’inquisition et de conspirations. C’est surtout un période de grand trouble pour le royaume d’Angleterre. Le monde semble toucher à sa fin tandis que les ennemis de la reine se réveillent : l’inquisition espagnole manigance tandis qu’en Latverie le baron Von Domm peaufine ses plans. La reine s’en remet donc à ses deux hommes de confiance, son espion Sir Nicholas Fury et son cartomancien le docteur Stephen Strange. Ce dernier lui annonce que la cause du péril qui menace la couronne arrive du nouveau monde, en la personne d’une jeune fille, première née de la colonie Roanoke. Leur espoir ? Une arme secrète des les templiers doivent lui faire parvenir de Jerusalem, si personne ne tente de l’intercepter en chemin.
Les personnages principaux sont ceux des premières années de l’univers Marvel : Docteur Strange et Nick Fury, mais aussi Daredevil, Spider-Man, Captain America et les premiers X-Men. Gaiman s’est imposé une seule règle : personne créé après 1969. Tout le reste est permis. Le grand jeu du lecteur est de reconnaître ces personnages dans ce contexte déroutant. Certains sont évidents, comme le jeune Peter Parquagh (qui est fasciné par les araignées), mais d’autres sont de vrais casse-têtes, comme le vénérable ancien de l’ordre des templiers. Cela-dit, les dessins de Andy Kubert (X-Men, Ka-Zar, Thor, Wolverine : Origins…) sont somptueux. La technique utilisée est la même que sur Origins : des crayonnées fins mis en couleur directe par ordinateur. Le résultat : de superbes planches à faire baver, des couleurs qui caressent l’œil, souvent mêlant des tons pastel à des couleurs plus ombres. Bref, en un mot, c’est beau.
L’histoire quand à elle possède différents niveaux de lecture. Pour être franc, quand j’ai lu les deux premiers numéros, je me suis dit « mouais, bof, c’est juste un Elseworld à la Marvel, une sorte de What if ? sans Gardien… » Je ne pouvais pas me tromper d’avantage. Alors d’accord, les ingrédients sont là : on replace des personnages connus dans un contexte différent, sans conséquences ni explication. Sauf que des conséquences, 1602 en a. Et une explication aussi, même si celle-ci met sept numéros à arriver. Surtout que sous une apparente simplicité, 1602 cache de nombreuses références, preuve une fois de plus du talent de Gaiman pour masquer ses recherches et les fondres dans l’histoire. Le docteur Strange par exemple est l’équivalent Marvel du docteur Dee, véritable mystique de la reine Elizabeth I (que Gaiman connaît fort bien pour avoir utilisé la version DC du Dr. Dee dans Sandman). Ces références sont décodées dans les annotations de 1602, disponibles sur internet. http://www.enjolrasworld.com/Jess%20Nevins/1602/16021.html http://www.comicworldnews.com/index.cgi ?column=mysteries&page=5 http://continuitypages.com/marvel1602.htm
Les quatre premier numéros de la série (sur huit), sont sortis ce mois d’avril chez Panini dans la gamme 100% comics. Un album impécable au papier glacé. Les seuls reproches que je pourrais leur faire tiennent d’une part dans la bibliographie de Neil Gaiman, qui n’est pas exacte, et d’autre part dans la traduction de certains termes. Toutefois c’est un très bel album que je vous recommande. Ce n’est certes pas le meilleur travail de Gaiman, on est encore loin de ses Books of Magic, mais c’est un excellent comics, bien meilleur que son Green Lantern/Superman : Legend of the Green Flame. Les plus joueurs pourront spéculer sur qui est quoi dans cet intrigue qui leur réserve de bonnes surprises.