La tour sombre

Notre cycle adaptation se poursuit avec cette fois un détour non plus avec de la bande dessinée mais avec un cycvle de romans : La tour sombre de Stephen King.

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La tour sombre

« Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour noire ».

Ce poème de 1855 de Robert Browning, inspiré par un vers du Roi Lear de Shakespeare, a allumé dans l’esprit de Stephen King un incendie qui a mis 34 ans à s’éteindre.

Nous sommes en 1970, et Stephen King est étudiant à l’Université du Maine. Inspiré par le poème de Browning, il se jette sur une ramette de papier vert qu’il trouve à la bibliothèque. King est déjà passionné par le format de la nouvelle (au grand dam de ses futurs éditeurs) et il se lance dans l’écriture d’une première nouvelle, le Pistolero, qui deviendra le moyeux de toute sa carrière. Cette nouvelle est publiée dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction en 1978, et suivront 4 autres nouvelles, publiées de 1980 à 1981. L’ensemble sera publié sous la forme d’un roman, le Pistolero, en 1982.

Le Pistolero s’ouvre dans le désert de l’Entre-Deux-Mondes. Roland Deschain, notre héros aux pistolets antiques, y poursuit Walter, l’Homme en Noir. Seul cet infâme sorcier peut l’aider à atteindre sa quête : la Tour Sombre. Très rapidement King brouille les pistes en mélangeant les repères temporels : l’ambiance est typique du western spaghetti, avec ses six-coups et ses saloons, mais Roland vient de Gilead, une ancienne cité (détruite depuis) où l’ordre des pistoleros entretient le code de la chevalerie du roi Arthur. On retrouve aussi dans le désert traversé par Roland des vestiges de technologies abandonnées, des mutants radioactifs, et le pianiste d’un saloon où il s’arrête joue Hey Jude des Beattles. Le tout donne une impression de futur décrépi, qui s’effrite toujours un peu plus. Enfin Roland rencontre Jake Chambers, un garçon tué par un Homme en Noir à Manhattan en 1977. L’univers de la Tour Sombre est donc un multivers, voire bien plus, et la Tour en est le nexus. Le destin de Roland, son ka comme l’appelle King, est donc de sauver la réalité même. Il a déjà beaucoup perdu dans sa quête : sa famille, ses amis, son monde, et sa volonté de fer sera encore mise à rude épreuve, à commencer dès ce premier roman lorsqu’il choisit se sacrifier le garçon pour enfin attraper Walter. Le sorcier lui envoie alors une vision de ce qui l’attend dans sa quête, à commencer par la révélation des Trois Cartes, trois individus qu’il trouvera sur son chemin de la Tour : le Prisonnier, la Dame d’Ombre et le Pousseur.

Les Trois Cartes, c’est le titre du deuxième roman du cycle de la Tour Sombre. King y introduit de nouveaux personnages qui deviennent les compagnons du destin de Roland, son ka-tet (oui King adore créer des mots). Le Prisonnier est Eddie Dean, un junky New Yorkais des années 80. La Dame d’Ombre est Susannah, en réalité deux personnalités enfermées dans le même corps, une jeune femme noire des années 60 en fauteuil roulant. Enfin la carte du Pousseur amène Roland dans le New York des années 70 et lui offre la possibilité de sauver Jake, le garçon qu’il a sacrifié dans le Pistolero. Jake, ni mort ni vivant, rejoint le ka-tet de Roland. Ce ka-tet sera complet dans le tome Terres perdues avec l’arrivée de Ote, un petit animal de l’Entre-Deux-Mondes, intelligent et capable de bafouiller quelques mots.

Dans Terres Perdues, le troisième roman de la saga, King explique que le multivers est organisé autour de la Tour Sombre. Notre univers y cotoie l’Entre-Deux-Mondes, avec des portes ou des zones fragiles où les deux se recouvrent partiellement. De la Tour au centre partent douze rayons, sur 6 axes, qui assurent l’intégrité des mondes. Chaque rayon est symbolisé par un Gardien, un animal totem : la tortue, le chien, le rat, l’aigle, le lièvre, l’éléphant, l’ours, le cheval, le poisson, le lion, la chauve-souris et le loup. Au cours du cycle le lecteur recontrera Shardik l’ours, et la Maturin la tortue. Les ennemis de la Tour, en tête le Roi Cramoisi (Crimson King en V.O), cherchent à briser les rayons pour provoquer le chaos et la destruction. Ils se servent pour cela d’humains aux pouvoir psychiques récoltés sur les divers mondes qu’ils enferment dans des camps de concentration pour les exploiter. A chaque rayon détruit, une vague se répand et plonge un peu plus l’univers vers Discordia, l’apocalypse à partir de laquelle le Roi Cramoisi compte refaire le monde à son image.

Le tome 4, Magie et Cristal, est considéré par beaucoup comme le meilleur de la saga. Illustré par Dave McKean, c’est un tome préquel/flashback qui revient sur la jeunesse de Roland dans les baronnies proches de Gilead, une époque plus simple où Roland découvre l’amour et la camaraderie, une époque où les mutants sont encore rares. C’est donc tout naturellement par là que Marvel a choisi de commencer son adaptation du cycle en Comics, pour simplifier l’ordre de lecture. King y revient sur l’ancien ka-tet de jeunesse de Roland, et il y développe sa mythologie : le rôle de marshalls des pistoleros, la chute de Gilead, les pierre d’infinité… euh magiques, le Shining, la lente destruction de l’Entre-Deux-Mondes etc…

J’ai utilisé plus tôt le terme de « moyeux » pour décrire la position de la Tour Sombre dans l’oeuvre de King. Car en effet, la réalité imitant la fiction, le cycle a une position dans la bibliographie du maître qui n’est pas sans rappeler celle de la Tour dans le multivers créé par King. Le roi Cramoisi (le boss final de la saga) apparait pour la première fois non pas dans la Tour Sombre mais dans Insomnie, roman de king où apparait aussi Patrick Danville qui aura une importance capitale dans le dénouement de la Tour Sombre. Le clown Pennywise de Ça est quant à lui un avatar du Roi Cramoisi, et la tortue Maturin est aussi évoquée dans Ça. Randal Flagg, le méchant du Fléau, est un avatar de Walter, l’Homme en Noir. Le sorcier de L’Oeil du Dragon, ou André Linoge l’étranger de la Tempête du Siècle, c’est encore lui. On aussi retrouve les Can-toi, des créatures mi-homme mi-animales au service du Roi Cramoisi, dans Désolation ou dans dans Coeurs Perdus en Atlantide. Les vampires de Salem apparaissent en guest stars dans Les Loups de la Calla, le tome 5 illustré par Bernie Wrightson. Et puis bien sûr il y a les casseurs de rayons, ces humains aux pouvoirs psychiques recherchés par les Can-toi,que l’on retrouve dans toute l’oeuvre de King. Comme Jack, le héros du Talisman des Territoir, co-écrit avec Peter Straub, dont l’univers ressemble étrangement au Mid-World de la Tour Sombre.

La Tour Sombre, comme toute oeuvre de King, prend son temps pour se déployer. Quand Magie et Cristal, le tome 4, sort en 1997, King est toujours dans sa phase de description des personnages et de leur passé. La Tour s’annonce comme une épopée fleuve en perpétuelle expansion, dans son cycle mais aussi par dissémination dans les autres romans. Bref, l’oeuvre d’une vie. Et puis le dimanche 20 juin 1999, King frôle la mort. King la connait bien, cette vieille garce. Elle est son fond de commerce, et King la côtoie depuis des années par son alcoolisme quasi-suicidaire. Au moment de la sortie de Ça, il est sobre à peine trois heures par jour, une fois célèbre la cocaïne a rejoint l’alcool dans la diète de King. Mais depuis l’intervention de sa femme Tabitha à la fin des années 80, et la menace de son départ, King s’est repris. Il est sobre, mange solide et prend l’air. Alors qu’ils se promène comme d’habitude sur une route forestière du Maine près de chez lui, il est fauché par Bryan Smith, un chauffard en camionnette qui tentait de maîtriser son chien en liberté dans l’habitacle. Si vous avez vu la série Kingdom Hospital, l’adaptation de King pour la chaîne ABC de la série danoise l’Hôpital et ses Fantômes (de Lars Von Trier), cette scène y est reproduite à l’identique (plus ou moins l’apparition d’un dieu des morts en forme de fourmilier, à vous de voir). King est retrouvé dans un fossé à 4 mètres de la route, et une fois sorti de l’hôpital, il revoit ses choix de vie. La vie ne tenant qu’à un fil, il décide de se reconcentrer sur la Tour Sombre pour ne pas la laisser inachevée. Sortiront coup sur coup les 4 tomes suivants en 2003 et 2004.

Dans la Tour Sombre, il y a donc un avant et un après 1999. King est connu, même pour ses fans, pour être long à poser le décors de ses romans et à les terminer très rapidement, voire à bâcler un peu ses fins. La Tour Sombre, sur une plus grand échelle, tombe dans le même travers. Après Magie et Cristal, écrit 27 ans après la nouvelle du Pistolero, la phase introductive est terminée et King sort ses 4 derniers tomes sur 2 ans. Cette différence de rythme se ressent forcément sur la qualité de l’écriture. D’autant qu’à la même époque, King continue de sortir d’autres romans, parfois qualifiés d’alimentaires (dont Roadmaster). Mais sa priorité est belle est bien de terminer son cycle. C’est tellement une obsession qu’il apparait, lui, Stephen King, dans le tome 6 : le Chant de Susannah. Le personnage de King est alors en panne d’inspiration. Roland et Eddie, conscients d’être ses créations, viennent le voir pour le supplier d’achever la Tour Sombre. Mais le Roi Cramoisi, qui cherche à détruire Roland, organise l’accident de voiture de 1999, et King est sauvé in extremis par Jake qui le pousse hors du chemin du pick-up. King peut alors reprendre le travail est boucler sa saga.
Sans rentrer dans la détail de l’histoire, la fin de la saga peut laisser perplexe, King encourage même les lecteurs à fermer le dernier tome avant ce dénouement, mais elle fait echo au poème de Browning par lequel tout à commencé. 2004 passe, la Tour Sombre est terminée, et King est toujours vivant. Après 34 ans de vie commune, il a du mal à dire adieu à Roland, Eddie, Susannah et Jake. En 2007, il participe à l’adaptation en comics de la Tour Sombre chez Marvel, avec son ex-assistante Robin Wirth et Peter David. Puis en 2012, il sort un huitième tome non prévu à la saga, la Clé des Vents, qui s’intercale entre Magie et Cristal et Les Loups de la Calla. Il dédicace ce tome à Robin Furth et à la bande de chez Marvel qui l’ont ramené dans l’Entre-Deux-Mondes. Ce retour en laisse présager d’autres. L’incendie est éteint mais il reste des braises qui n’attendent qu’un léger souffle pour repartir de plus belle.

Posted on septembre 26, 2017 at 20:06 by Thomas · Permalink
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